La Muse Terpsichore d’Antonio Canova

La salle des plâtres abrite un chef d’œuvre d’Antonio Canova : le précieux modèle original en plâtre de la Muse Terpsichore. C’est une œuvre extraordinaire pour la sensibilité plastique exprimée dans le rendu de la pose et du drapé ; elle représente Terpsichore, Muse de la danse et du chant choral comme le suggère la lyre qu’elle tient dans la main gauche.

En dehors du modèle en plâtre de Villa Carlotta, il existe une version de la Terpsichore tirée en plâtre et conservée à la Gypsothèque canovienne de Possagno et deux versions en marbre : une conservée à la Fondation Magnani Rocca de Parme et l’autre, une réplique autographe plus tardive, achetée en 1968 par le Cleveland Museum of Art, exécutée en 1814-16 (signée et datée 1816) pour le collectionneur anglais Simon Houghton Clarke.

L’histoire de l’œuvre

Antonio Canova (Possagno 1757 - Venise 1822) commence à réaliser l’œuvre en 1808 à la demande de la famille Bonaparte : la statue devait être un portrait divinisé d’Alexandrine Bleschamps, femme de Lucien Bonaparte, le plus jeune frère de Napoléon. Pour des raisons encore inconnues, la commande est reprise par Giovanni Battista Sommariva qui était en train de créer son temple du néoclassicisme à Villa Carlotta (qui s’appelait encore Villa Sommariva) et achetait et commandait des œuvres d’art aux plus grands artistes de l’époque, parmi lesquels Antonio Canova. Sur demande du nouveau client et mécène, Canova idéalise le visage et les traits qui ne sont plus ceux d’Alexandrine Bleschamps.
Canova et Sommariva établissent une relation d’estime et de confiance mutuelles et parmi les nombreuses œuvres de l’artiste achetées et commandées par le collectionneur, la Terpsichore est l’une de ses favorites : l’obsession et l’amour pour cette sculpture étaient si forts que Sommariva acheta non seulement la statue en marbre (qui était exposée dans son hôtel parisien), mais aussi le modèle en plâtre pour s’assurer l’exclusivité de l’œuvre.

« Votre Fille Aînée, votre Fille Unique, mon Épouse, fait mes délices, et ceux de tous les amateurs et artistes, qui ne se lassent pas de venir la voir et l’admirer plusieurs fois. Elle est maintenant à la place de mon lit, sur le piédestal, qui lui va à merveille ».

Tels sont les mots écrits par Sommariva à Canova le 31 mars 1813, qui appelle la sculpture avec emphase « mon Épouse ». Ardemment voulue et désirée par le mécène, à son arrivée dans la demeure parisienne de Sommariva, la statue fut placée au pied du lit du comte, selon le goût pour la sensualité typique du XIXe siècle : l’aristocratie et la bourgeoisie naissante, ne pouvant pas apprécier ouvertement les corps de femmes nues, s’entouraient d’œuvres d’art avec une puissante charge érotique qui était toutefois justifiée et cachée sous la nudité typique des œuvres classiques ou du goût naissant pour l’orient.

La technique de Canova

La particularité du plâtre exposé à Villa Carlotta est qu’on y voit encore les repères, traces du processus créatif suivi par Canova pour donner vie à ses chefs d’œuvre. Antonio Canova avait l’habitude d’organiser rigoureusement son activité de façon à avoir sous contrôle chaque phase du travail. De l’ébauche en argile, qui concrétisait une première idée de l’œuvre – souvent anticipée par des dessins – il procédait à la réalisation d’un modèle en argile grandeur nature. Ce modèle était créé en utilisant comme base une ossature composée d’une tige en fer de la hauteur de l’œuvre à exécuter) qui était reliée à des tiges métalliques plus petites avec aux extrémités des petites croix en bois.

C’est ainsi que Canova pouvait évaluer, avant de commencer à sculpter, l’effet général de son œuvre. Le passage du modèle en argile à celui en plâtre se faisait grâce à la technique du « moulage à creux perdu » : le modèle en argile était recouvert d’une fine couche de plâtre rougeâtre puis d’une autre couche épaisse de plâtre blanc qui, en durcissant, formait un véritable moulage.

Séparé du modèle en argile, le moule était de nouveau rempli de plâtre afin de créer un nouveau modèle tridimensionnel. Dès que le durcissement du plâtre le permettait, le moule extérieur était détruit en procédant avec les plus grandes précautions jusqu’à l’apparition de l’enduit rougeâtre. Sur le modèle en plâtre ainsi obtenu, le sculpteur plaçait les repères, des petits clous en fer qui étaient utilisés par les élèves pour transférer les mesures du plâtre sur le bloc de marbre et procéder à son ébauche.

L’œuvre était ainsi prête à recevoir ce que Canova appelait la dernière main : une phase du travail réservée exclusivement au maître qui, dit-on, travaillait à la lueur d’une bougie pour garantir un rendu parfait des volumes et des ombres. D’autres soutiennent que le maître travaillait en écoutant les textes de l’antiquité, comme l’Odyssée, déclamés à voix haute par des aides dévolus à cette fonction.

Pour rendre ses statues encore plus vivantes, Antonio Canova avait l’habitude d’appliquer sur les parties non vêtues une patine spéciale en mesure de rendre l’idée de la douceur de la peau. Le but de la patine – obtenue avec les matériaux les plus divers dont il ne reste aujourd’hui que de rares traces – servait aussi à anticiper les effets du temps, en assurant à l’œuvre une sorte d’harmonie pérenne.

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